lundi 1 août 2016

Episode 18 - Le voyageur


L’optimiste déclare le verre à moitié plein. Le pessimiste déclare le verre à moitié vide. Seul celui en quête de vérité se demande pourquoi le verre est-il là ? Pourquoi y a-t-il de l’eau partout sur le sol ? Pourquoi couvre-t-elle chacune des surfaces de la maison ? Qui ou quoi nous fait subir ceci ?

Bienvenue à Valnuit.

Chers auditeurs, un nouveau voyageur est arrivé à Valnuit. Ceci n’est pas inhabituel, vu à quel point nous sommes parfaitement positionnés entre plusieurs sommets géométriques, mais ce Voyageur n’est pas prompt à être confondu avec les autres voyageurs - vous voyez desquels je parle… On dit que ce Voyageur a des traits étrangers et une barbe, belle - mais terrible. On rapporte qu’il porte un uniforme avec des épaulettes argent, une fourragère dorée et des boutons faits d’un alliage métallique qu’on ne saurait décrire avec notre langage si limité pour les couleurs. Tout cela est très similaire à l’uniforme de la fanfare des Cactus de St Falaise avant l’Incident mais l’uniforme du Voyageur n’est pas roussi, ni imbibé de sang.

On ne peut pas dire que je fasse beaucoup confiance à cet intrus, et ses actions ne me donnent aucune raison de lui faire confiance” suggère le Manuel Sur Les Intrus, publié par la Police Secrète Municipale. D’après le manuel, les citoyens sont enjoints à ne pas parler avec le Voyageur, et à creuser un abri dans leur jardin. Ou, s’ils ne possèdent pas de jardin, à s’enfermer dans un abri métaphorique fait de vigilance et d’une vision positive.
Qui sait quel projet anime Le Voyageur ? Il conduit un gros camion coûteux, il creuse dans le désert tard la nuit, il ne semble pas adéquatement respectueux des Zones Interdites et il a déjà épousé la troisième femme la plus belle de Valnuit : Julie Cactus. Il l’a persuadée de descendre de son cactus et il l’a épousée. Je suis en train de regarder une photographie du mariage dans le journal à cet instant même. Maintenant, je bois quelque chose. [slurp] Maintenant, je mange une enchilada [marmonne la bouche pleine] qu’on vient de me donner à l’instant.

La maire Pamela Vasseur a organisé une conférence de presse d’urgence aujourd’hui, la quatrième de la semaine. Après que la foule habituelle se soit réunie autour d’elle - moins ceux qui avaient été arrêtés aux conférences de presse précédentes, elle a commencé la réunion en vibrant légèrement et en regardant le soleil pendant cinq minutes d’affilée. Une fois ces plaisanteries d’usage achevées, elle a lu sa déclaration, qui était la suivante :
Les clôtures dans les grottes. Un coeur qui bat pour ce qu’il ne peut obtenir. Un coeur qui n’obtient pas ce dont il a besoin pour battre. Les clôtures dans les grottes. Chaleur d’en dessous et au-dessus mais tout est froid dans l’intervalle. Les clôtures dans les grottes. Les clôtures dans les grottes.
Elle a ensuite disparu dans un petit nuage de fumée verte.
Plusieurs questions furent alors posées, mais comme personne ne se trouvait sur le podium, aucune d’entre elles ne reçut de réponse. Nombre des questions étaient de toute façon purement réthoriques. Après la séance de questions, on procéda à quelques arrestations et les journalistes choisis furent emmenés là où les journalistes sont emmenés lorsqu’ils disparaissent pour toujours. Au final, une conférence de presse plutôt calme.

Et maintenant, une annonce de service public :
La Fédération des Psychologues de Valnuit recommande que vous passiez chaque jour au moins 30 minutes à croire en ce que vous voyez. La FPV cite une étude démontrant que plus de 60% des citoyens actifs de Valnuit vivent dans une bulle d’obstination, de distraction et de fantaisie surréaliste qu’ils ont eux-mêmes créé. Quand on les confronte avec des choses réelles qui sortent de leur propre compréhension - appelée, par les psychologues “vraie vie” - la plupart des sujets ont fermé les yeux et ont fait semblant de regarder une araignée ou quelque chose sur le sol.
L’étude prévient que faire confiance à vos propres yeux peut mener à des dangers certains. Par exemple, les poltergeists, les robots et l’humidité peuvent générer des illusions visuelles, pouvant vous entraîner par ruse dans des activités douteuses comme le jeu - ou la consommation de choses non-comestibles - afin de pouvoir se réjouir de votre malheur. Mais la FPV nous assure que prendre ce qu’on voit pour argent comptant, même pour seulement quelques minutes chaque jour, est la manière la plus efficace de vivre. Cela préserve l’esprit du stress émotionnel causé par l’auto-fiction et le scepticisme. La déclaration de la FPV ajoute que “ce t-shirt vous va bien” et que “vous devriez porter des vêtements plus moulants. Les gens veulent savoir à quoi vous ressemblez, là dessous.” Ils vous demandent aussi de juste toucher leur dos. “Vous n’avez pas à le gratter. Contentez-vous de le toucher. Placez simplement votre main… là. Mon dieu, vous me manquez tellement !”, conclut le rapport.

Ca vient de tomber : le Voyageur et sa femme, Judith Cactus, ont été aperçus en train de faire leurs courses Chez Raphael il y a quelques instants. Il secouait la tête en regardant notre mode vestimentaire et gloussait de dérision face à nos téléphones et nos balances d’épicerie.
On a tellement mieux, de quand je viens” a dit le Voyageur, d’après un rapport, que je choisis de croire. Il a ajouté “C’est vrai, j’ai dit quand et pas où.” Il a alors cligné de l’oeil.

La police secrète municipale, pendant ce temps est plus qu’un peu interessée par la soudaine réouverture des Tacos De Jérémie, au coin de la route Ourobore. Vous vous rappelez sans doute que le restaurant Les Tacos de Jérémie avait été emprisonné dans de l’ambre l’été dernier, avec Jérémie à l’intérieur. Mais c’est désormais comme si Jérémie n’avait jamais transgressé les lois de la nature avec ses enchiladas.
Le Voyageur a été aperçu à proximité des Tacos de Jérémie. Si j’étais vous - et je ne crois pas que ce soit le cas - je serais très prudent en commandant quelque chose du Menu Secret chez Jérémie. Ne commandez absolument rien qui provienne du Menu Abandonné.

Et maintenant, un errata.
Dans un rapport précédent, nous, la radio communautaire de Valnuit, parlions de cette croyance répandue qu’une chose telles que les “montagnes” existe. Nous avons tourné en ridicule cette croyance et avons beuglé, à plusieurs reprises “C’est plat tout partout. C’est plat tout partout.
Nous avons rédigé des listes d’amis dont nous savions qu’ils croyaient aux montagnes et nous avons envoyé ces listes au conseil municipal, recommandant qu’ils soient tous mis en détention pour une durée indéterminée. Nous nous sommes montrés physiquement violents avec une effigie marquée “Montaniste”, la frappant de manière répétée avant de la brûler au milieu du cercle de jaspe sanglant de la station de radio. En fait, nous avons consacré une journée entière de notre programmation, rassemblant tout le personnel de la radio pour crier à l’unisson, dans le micro : “Des montagnes ? Plutôt du grand rien !
Récemment, l’un de nos amis sus-mentionnés - qui, heureusement, n’avait pas encore été appréhendé par le conseil - nous a conduit à une montagne. Nous avons regardé la montagne, et nous l’avons même touchée et elle était définitivement réelle. Nous sommes donc forcés d’admettre qu’il y a en effet au moins une montagne dans ce monde et nous présentons nos excuses pour nos affirmations antérieures du contraire. Je ne suis pas encore complètement convaincu qu’il y aie plus d’une unique montagne. C’est même possible que les apologistes de la montagne en aient construit une dans le seul but de valider leur vision du monde tordue.
Incertain, chers auditeurs, incertain mais … possible.
C’était l’errata.

Et maintenant, une mise à jour. Nous recevons des informations indiquant que le Voyageur a été vu à l’instant, debout sur le hayon de son camion, s’adressant à un petit groupe de gens curieux.
Je suis venu ici du futur. J’ai sauvé Valnuit de la destruction et je la sauverai encore”, aurait déclaré le Voyageur à la foule. “Vous n’en savez rien parce que vos souvenirs ont été modifiés en même temps que la série d’événements. Maintenant que j’ai altéré le passé, je ne peux plus retourner à mon époque. Je reste ici. Je vous montrerai la voie. J’espère que vous appréciez mes enchiladas.” 
La police secrète municipale déclare qu’ils ne peuvent accuser le Voyageur de quoi que ce soir, puisque Valnuit a récemment dépénalisé le voyage temporel. Mais que veut, au juste, dire le Voyageur, quand il déclare avoir sauvé notre ville ? Comment la sauvera-t-il de nouveau ? Nous avons toujours fait confiance aux fins inconnaissables des Figures Encapuchonnées. Pouvons-nous nous permettre d’abandonner ce que nous supposons être leur sagesse. Pouvons-nous nous permettre de suivre ce nouveau prophète de demain ?

Et maintenant, un publireportage sponsorisé par Yelp.com
[murmure et sifflote - d’une manière qui recevrait probablement des commentaires mitigés sur yelp.com]
C’était un publireportage sponsorisé par Yelp.com

Et maintenant, un aperçu du calendrier communautaire
  • Jeudi à 20h, au magasin de disques “Hibou Sombre”, Curtis Mayfield lira des extraits de son nouveau livre, intitulé “Où suis-je ? Je ne peux pas voir, pas ressentir, je ne sais pas qui je suis ou depuis combien de temps je suis là : une autobiographie”.
  • Vendredi après midi, entrée gratuite au Musée des Sciences pour les enfants. Après l’école, emmenez vos enfants voir la nouvelle exposition : “Les Grenouilles : Mythe ou réalité ?” Ils ont aussi installé une nouvelle salle d’études interactive où les jeunes scientifiques peuvent jouer librement avec des objets scientifiques tels que du diluant à peinture, du dissolvant pour vernis à ongles, du nettoyant pour vitres ainsi qu’un seau à moitié vide de durcisseur pour joints.
  • Samedi a été fusionné avec dimanche pour faire superdi !
  • Lundi ne vous fera aucun mal… mais vous devriez commencer à stocker des gants en latex quand même.
  • Et mardi, c’est pique-nique spécial sans guêpes au Jardin de l’Oliveraie.

D’autres nouvelles à suivre, mais d’abord, la météo.
[Aere par Dante]

Mesdames, messieurs ainsi que ceux parmi vous qui ne tombent pas clairement dans l’une ou l’autre catégorie, il est de mon devoir ambivalent de rapporter que le Voyageur a soudainement disparu. Sa photographie a disparue de la une du journal. Son camion manque à l’appel. Ceux parmi vous qui m’ont rapporté l’avoir vu ont rappelé pour dire qu’ils se sont probablement trompés et qu’ils n’ont jamais rien vu ; qu’ils ne savent même pas comment ouvrir leurs yeux. Peut être qu’il a de nouveau sauté au travers du fleuve du temps, ou qu’il est passé dans une dimension alternative générée par les changements qu’il a causés à notre monde. Ou peut être qu’il a été soudainement encerclé par les Figures Encapuchonnées, qui parlaient d’une voix que seul le Voyageur pouvait entendre. Peut être qu’elles se sont refermées sur lui et qu’il a paniqué alors que le cercle se resserait et se resserait autour de lui jusqu’à ce que les seules choses qui pouvaient être vues par les témoins horriffiés étaient les figures encapuchonnées. Et, peut être que, tout aussi soudainement, les figures encapuchonnées ont disparu et que rien ne restait du Voyageur, à part une pile de boutons indescriptibles provenant de son uniforme, abandonnés, épars, autour du trou dans le terrain vague derrière chez Raphael.
Quoi qu’il se soit passé, je ne peux que déclarer “Adieu, Voyageur.”


Sans transition, le restaurant les Tacos de Jérémie sera, dorénavant et pour toujours, sous gestion des Figures Encapuchonnées. Les plantes à proximité du restaurant ont déjà commencé à flétrir et animaux comme insectes évitent la zone désormais. Le restaurant a été rénové pour ressembler à une monolithe noir de neuf mètres de haut sans entrée visible. Si nous apprenons un quelconque changement de menu ou de prix, vous serez les premiers à le savoir.
Enfin, nous sommes heureux de terminer l’émission de ce jour avec quelques bonnes nouvelles en provenance de l’hôpital de Valnuit. La femme de Tanguy Wallabi, Herschel, a donné naissance à une main amputée d’homme adulte, qu’ils ont nommé Mégane. Le Dauphin Noir a donné naissance a une bille métallique lisse d’une étonnante densité. Elle s’ajoute aux trois billes précédentes, avec des propriétés étrangement similaires, gardées à l’heure actuelle dans un coffre de la chambre forte de la police secrète municipale. Et la très jolie veuve, Jeanne Cactus, dont nous n’avons aucun souvenir du mari, est heureuse d’avoir mis au monde un petit garçon qu’elle a prénommé Champion. Plusieurs agents d’un service indéfini mais néanmoins menaçant ont assisté à la naissance. On dit de Champion que c’est un enfant avec un visage étranger et une belle - mais terrible - barbe.

Eh bien, chers auditeurs, cela aura été un autre jour, une autre nuit, une autre bribe de temps dans cette bribe d’espace. Je suis assis à mon bureau, les deux pieds plantés sur un vieux tapis élimé mais, dans mon esprit, je suis n’importe où ailleurs. Je suis au-dessus, dans le ciel au-dessus, scrutant notre petite Valnuit. Je vois les lampadaires, en grilles et courbes, et les lieux où il n’y a pas de lampadaires, parce qu’ils sont en pannes… ou manquants… ou invisibles.
Je vois des routes avec des voitures et les voitures ont des gens en dedans. Et ces gens voyagent à travers les ténèbres dans le confort et la lumière des voitures. Et je vois tout cela d’au-dessus. Je vois où la ville fait graduellement place à la garrigue, les dernières rares lumières des dernières rares habitations, comme les étincelles vagabondes d’un feu de camp, jeté dans le noir absolu de la Garrigue et des Causses de Sable.
Je vois l’orbite des citoyens tournant autour d’autres citoyens. Tout ces valnuitains ordinaires, vaquant à leurs vies ordinaires, dans cet endroit singulier, extraordinaire que nous appelons notre foyer.
Montant plus haut dans l’air froid et raréfié de l’atmosphère supérieure, j’aperçois sous moi le quadrillage des traînées de condensation et d’épandage chimique, la signature de machines aériennes qui ont depuis longtemps gagné le large, l’empreinte de notre civilisation sur le ciel nocturne. Et, regardant vers le haut, je ne vois plus que les étoiles et le vide, le tout plus proche qu’il n’était auparavant. Et pourtant toujours aussi innateignablement lointain.
J’ai quelque chose d’urgent à vous dire mais je vous le dirai plus tard. Ou je ne vous le dirai pas du tout. Ce qui est sûr, c’est que je ne vous le dirai pas maintenant. Maintenant, j’observe, simplement, de la position avantageuse de ma propre imagination, une ville préoccupée par sa propre existence.
Et, pour l’instant, l’existence suffit. Restez à l’écoute pour une répétition à l’identique, mot-pour-mot, de cette émission, qui vous semblera imperceptiblement mais indubitablement différente...bien que vous ne serez jamais capable d’expliquer pourquoi.

Bonne nuit, Valnuit. Bonne nuit.

Bienvenue à Valnuit est une traduction bénévole de Welcome to Night Vale, une production Night Vale Presents. Le texte original est écrit par Joseph Fink et Jeffrey Cranor. Cet épisode a été traduit par l’équipe des Valnuitains et produite par Kobal. La voix française de Cecil, Emile, est Kalysto. 
Le générique est de Disparition. Il peut être téléchargé sur disparition.info 
La météo de cet épisode était Aere par Dante. Vous trouverez plus d’information en allant sur https://twitter.com/DankestDante
Vous voulez avoir votre musique diffusée dans la section météo ? Vous voudriez faire montre de votre talent dans ce podcast ? Juste envie de dire salut ? Ecrivez-nous à valnuitains@gmail.com ou suivez nous sur twitter, @valnuitains. 
Allez sur welcometonightvale.com pour plus d’information sur le podcast anglais, ainsi que pour acheter plein de trucs cools en rapport avec l’émission. Et tant que vous y êtes, vous pourrez y faire un don, ce sera sympa de votre part.
Le proverbe du jour : Trouvez plus de manière de placer le mot “socle” dans vos conversations quotidiennes.

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